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Juste par l’écoute, les personnes qui travaillent en réduction des méfaits peuvent améliorer la santé mentale des personnes consommatrices de drogues

Une main est représentée tenant une poignée de pilules.

Pour les personnes qui consomment des drogues, les services de réduction des méfaits et leur personnel peuvent offrir un répit à la discrimination liée à la stigmatisation. Même de simples gestes, comme demander à une personne comment elle va, peuvent améliorer le bien-être émotionnel des membres de la communauté lorsqu’ielles accèdent à des services de distribution de matériel de consommation sécuritaire, des sites de consommation supervisée (SCS), et d’autres organisations oeuvrant en réduction des méfaits.

Ceci est particulièrement important dans le contexte actuel de la crise des surdoses, que la pandémie de COVID-19 alimente également. Le fait que de nombreuses organisations de réduction des méfaits aient eu à adapter leurs opérations pendant la pandémie, par exemple en offrant moins de places dans les SCS ou en fonctionnant avec moins de ressources, ne fait qu’aggraver le problème.

Sean Bristowe, qui travaille présentement pour le projet Penser Sensée du regroupement Étudiant.es canadiennes pour les politiques éclairées sur les substances psychoactives / Canadian Students for Sensible Drug Policy, se rappelle de son expérience en travail de proximité. Selon iel, il est important que les personnes travaillant en réduction des méfaits prennent le temps de parler avec les membres de la communauté et d’écouter ce qu’ielles ont à dire. “Quand on prend le temps de s’asseoir avec les gens et d’écouter leurs histoires, cela fait beaucoup de bien”, a-t-iel déclaré.

Dans de nombreux cas, les personnes qui consomment des drogues se heurtent à de la discrimination provenant du public, et souvent dans le domaine des soins de santé également. Sean note que les Albertain·es ont déjà une certaine aversion à parler avec des étrangers·ères, et que la réduction des méfaits dans la province se heurte souvent à des mentalités très oppositionnelles. Dans ce contexte, les travailleurs·euses de proximité et de réduction des méfaits peuvent faire preuve de compassion, dit-iel, ce qui permet de nouer des relations et d’établir un climat de confiance avec les membres de la communauté, de sorte qu’ielles soient plus susceptibles de reprendre contact s’ielles vivent une crise.

« Dans le travail de proximité, on voit quotidiennement comment le public ignore les personnes qui consomment des drogues. Lorsque les gens vous ignorent, jour après jour, cela finit par vous user », Bristowe dit-iel.

Souvent, les travailleurs·euses ayant une expérience vivante ou vécue de ces enjeux ont plus de facilité à établir un rapport naturel avec les utilisateurs·trices de services, car ielles sont plus à même de comprendre et de s’identifier à ce que les membres de la communauté vivent. Rachel Plamondon est travailleuse de proximité à Vancouver depuis 10 ans, et elle possède une grande expérience dans divers contextes de travail de rue et de SCS.

« Dans le travail de proximité, on voit quotidiennement comment le public ignore les personnes qui consomment des drogues. Lorsque les gens vous ignorent, jour après jour, cela finit par vous user », Bristowe dit-iel. Selon elle, lorsqu’un·e usager·ère se présente dans un établissement de réduction des méfaits et qu’une personne ayant une expérience vivante ou vécue l’accueille, cela ouvre la porte à la création d’une relation basée sur la confiance.

« Lorsqu’ielles franchissent la porte et voient quelqu’un qu’ielles connaissent déjà, ielles baissent un peu plus leur garde », dit-elle.

Souvent, les organisations qui offrent des services de réduction des méfaits sont des lieux où les membres de la communauté peuvent trouver un minimum de sécurité. « Nous essayons de faire preuve d’empathie et de compassion, ce qu’ielles n’ont peut-être pas reçu avant de franchir nos portes », ajoute-t-elle.

Les deux épidémies ont également fait des ravages sur la santé mentale des personnes travaillant dans les organisations de réduction des méfaits. Shay Vanderschaeghe est coordinatrice de programme au sein du programme Stimulus de la CCoalition canadienne sur les politiques sur les drogues. Elle travaille avec des organisations de réduction des méfaits dans les petites communautés, qui souvent sont le seul groupe œuvrant sur le terrain.

Il s’agit d’une période particulièrement éprouvante pour les personnes travaillant dans ce domaine, car les membres de la communauté avec lesquel·les les travailleurs·euses ont peut-être établi une relation sont confronté·es à un risque accru de surdose et à une stigmatisation presque constante. Certaines personnes travaillant dans des organisations de réduction des méfaits hésitent parfois à partager ce qu’elles vivent, craignant que leur traumatisme cause également une douleur émotionnelle à leurs collègues, leurs ami·es, etc. Cette dynamique s’intensifie compte tenu du poids émotionnel lié au nombre croissant de surdoses, ainsi qu’à la discrimination et aux abus auxquels les utilisateurs·trices de services de leur communauté peuvent être confrontés.

« Nous faisons face à une tempête de problèmes de santé mentale dans le domaine de la réduction des méfaits », Vanderschaeghe dit-elle.

Pour lutter contre ce phénomène, Shay recommande aux organisations de réduction des méfaits de demander activement ce dont leurs travailleurs·euses ont besoin pour traverser cette période. Ceci pourrait impliquer l’ajout de personnel supplémentaire, car les travailleurs·euses ont besoin de prendre du temps libre pour travailler sur leur propre santé mentale. « Il n’y a pas de réponse unique. Il s’agit d’un syndrome d’époque. Personne n’a jamais eu à vivre cela », déclare Shay.

« Nous faisons face à une tempête de problèmes de santé mentale dans le domaine de la réduction des méfaits », Vanderschaeghe dit-elle.

En effet, il n’est pas toujours facile de s’engager sur le plan émotionnel. Parfois, les organisations de réduction des méfaits peuvent même décourager leurs employé·es de faire preuve d’émotion lorsqu’ielles interagissent avec les utilisateurs·trices de services. Erica Thomson, Directrice exécutive de la BC and Yukon Association of Drug War Survivors, a vu des organisateurs·trices et du personnel de certaines organisations de réduction des méfaits dire aux travailleurs·euses de ne pas pleurer ou de ne pas étreindre les utilisateurs·trices de services. « Souvent, mais pas exclusivement, ce sont les personnes ayant une expérience vivante ou vécue qui sont plus enclines à montrer des émotions », fait-elle remarquer.

Selon Erica, ceci émerge d’une tendance historique. Certaines organisations de réduction des méfaits ont des employé·es qui sont des travailleurs·euses sociaux·les qualifiés. Dans ce domaine, la vieille école recommande de ne pas montrer ouvertement ses émotions lors d’interactions avec les usagers·ères. Elle l’a constaté pendant toute ses années d’expérience, et pourtant, « il est incroyablement difficile de ne pas montrer ses émotions ou même de pleurer en entendant les histoires de la communauté », dit-elle.

Le personnel qui émerge d’un contexte de travail social, ou influencé par celui-ci, peut dans certains cas “Avoir une éthique très vieille école. Il ne faut pas faire intervenir les émotions. Montrer ses émotions ne serait pas professionnel – par exemple pleurer avec un “client·e”. Mais si vous n’êtes pas émotif·ve dans cette crise, il y a quelque chose qui cloche.”

Selon Thomson, il peut également y avoir une stigmatisation des personnes qui consomment des drogues parmi les travailleurs·euses de réduction des méfaits.

“Avoir une éthique très vieille école. Il ne faut pas faire intervenir les émotions. Montrer ses émotions ne serait pas professionnel – par exemple pleurer avec un “client·e”. Mais si vous n’êtes pas émotif·ve dans cette crise, il y a quelque chose qui cloche.” – demande Thomson.

Quoi qu’il en soit, le fait d’avoir de l’empathie, de montrer ses émotions et d’écouter les membres de la communauté peut encourager ces derniers·ères à revenir et à chercher de l’aide, en plus de s’occuper de leur bien-être émotionnel. “L’élément le plus important n’est-il pas que les gens reviennent ?” demande Erica.