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Les directives d’atténuation du risque ne sont pas de l’approvisionnement sécuritaire, mais plutôt une forme de TAO

Home-made protest signs on a table that read 'no more deaths'.

Parler des nouvelles directives d’atténuation du risque en matière de prescription (Risk Mitigation [Prescribing] Guidelines [RMG]) de la C.-B. comme d’une forme d’« approvisionnement sécuritaire » est une façon trompeuse de designer ce qui est en fait un simple élargissement des options pharmaceutiques offertes aux personnes ayant un trouble lié à l’utilisation de substances, proposées selon des modèles existants de traitement de la dépendance comme le traitement par agonistes opioïdes (TAO).

La plupart (mais pas tous, il est vrai) des médicaments offerts dans le cadre de la directive sont déjà utilisés depuis quelques décennies. La publication de la RMG vient principalement modifier la disponibilité de l’hydromorphone (Dilaudid) et diversifier la gamme de stimulants offerts. L’hydromorphone est cependant déjà proposée depuis quelques années aux patient·es de Vancouver et de Victoria à titre d’option thérapeutique; cette thérapie est donc moins novatrice qu’il n’en paraît. Le fait que la RMG utilise le modèle du TAO ne fait que reproduire les problèmes rencontrés par des dizaines de milliers de personnes dans les vingt dernières années.

L’accès facilité aux médicaments stimulants pour les personnes qui utilisent des drogues est une intervention relativement nouvelle, car ce type de thérapie de remplacement des stimulants est moins répandue. Malheureusement, l’éventail de stimulants ou d’opioïdes proposé par la directive ne convient pas à tout le monde et ne tient pas compte des tolérances des personnes qui consomment des drogues ni de leurs modes de consommation privilégiés. En plus de la dose, qui ne répond souvent pas aux besoins des gens, aucune substance fumable n’est offerte actuellement, ce qui est inquiétant, car la majorité des surdoses signalées sont le résultat d’opioïdes fumés et non injectés.

De plus, la plupart des prescripteurs refusent d’offrir des médicaments RMG sans prescrire de TAO en même temps, ce qui revient à ignorer les besoins individuels et l’expérience personnelle. Cette tendance à la co-prescription contraint les gens à s’engager dans des processus par lesquels bon nombre d’entre eux sont déjà passés et dont ils gardent un souvenir négatif. Pour la plupart d’entre nous, c’est comme si nous devions affronter un dédale administratif sans raison apparente, et avec peu ou pas d’explications. Cette situation va à l’encontre des principes de réduction des méfaits, érode la confiance et reproduit en fin de compte les préjudices médicaux subis par bon nombre de personnes utilisatrices de substances dans le système de santé.

Dans plusieurs endroits au Canada, en particulier en Colombie-Britannique (C.-B.), l’offre de drogues illicites est indéniablement contaminée par le fentanyl – qui serait beaucoup plus puissant que l’héroïne autrefois disponible ou les options pharmaceutiques offertes dans le cadre de la RMG. Il en résulte un écart entre l’effet du médicament et les effets dont la personne a besoin ou envie. Par conséquent, les gens continuent à s’approvisionner dans la rue pour combler leurs besoins, comme c’est souvent le cas avec le TAO. Le risque de faire une surdose est donc bien présent, tout comme celui de contracter la COVID-19. Pourtant, l’intervention est censée atténuer ces deux risques.

Pour ce qui est de la COVID, les critères d’admissibilité de la directive comprennent une disposition selon laquelle l’intervention serait destinée aux personnes qui sont à risque de contracter le virus ou qui l’ont contracté. Bien que cette définition puisse en principe s’appliquer à n’importe qui, étant donné la nature de la pandémie, les critères concernant le risque lié à la COVID-19 ont conduit, selon l’expérience de la personne qui écrit ces lignes, à une interprétation inégale de l’admissibilité des patient·es par les prescripteurs du système de santé. Certain·es exigent que le ou la patient·e soit en quarantaine pour être admissible, tandis que d’autres l’utilisent comme tentative ultime de contrer la vague de décès par surdose.

Dans tous les cas, pour avoir accès à la RMG, il faut avoir accès à un·e médecin de famille ou à un·e autre professionnel·le de la santé ayant le droit de prescrire. Dans plusieurs localités de la C.-B. (en milieu rural ou éloigné surtout), il y a une grave pénurie de médecins, qu’il s’agisse de généralistes ou de spécialistes en traitement de la dépendance. Ainsi, les personnes au bas de l’échelle sociale, soit principalement celles qui n’ont pas de logement ou d’emploi stable, auront de la difficulté à obtenir ce service. On se rend compte que la mesure est encore moins accessible lorsqu’on tient compte du manque de prescripteurs disponibles et désireux d’y participer dans les collectivités rurales et éloignées.

Par ailleurs, lorsque les personnes perçues comme « itinérantes » ou « toxicomanes » par le personnel soignant tentent d’obtenir des soins médicaux, elles reçoivent souvent un traitement empreint de stigmatisation. L’impatience des professionnel·les, le manque de respect pour les connaissances du ou de la patient·e de son propre corps et de son état, la méfiance et d’autres comportements désagréables ont été rapportés dans la recherche et de manière anecdotique par les personnes qui utilisent des substances. En Nouvelle-Écosse, une jeune femme a été si mal traitée par le personnel de l’hôpital qu’elle a refusé de se faire soigner pour une infection et est décédée d’une sepsie. Il ne s’agit pas d’un incident isolé. Cette situation est au contraire révélatrice d’une tendance courante à la maltraitance des personnes qui consomment des drogues par le personnel soignant.

La stigmatisation entourant l’accès au traitement est encore plus grande lorsque la personne est racisée. Les patient·es autochtones, qu’ils consomment ou non des drogues, sont souvent soupçonnés à tort d’être intoxiqué·es et sont victimes d’un racisme flagrant et de traitements horribles dans les hôpitaux et autres établissements de santé. Il en résulte un climat qui est à juste titre perçu comme hostile et peu accueillant pour les plus marginalisé·es d’entre nous – citoyen·nes racisé·es, personnes pauvres, personnes qui utilisent des substances illicites et personnes en situation de logement précaire.

De plus, l’utilisation du modèle de TAO demande que le système de pharmacie offre les médicaments. Malgré les dispositions de la directive concernant la livraison et, dans certains cas, les doses hebdomadaires à emporter, des recherches récentes montrent que 94 % des ordonnances dans le cadre de la RMG doivent être prises devant le ou la pharmacien·ne. La situation est la même que pour l’administration quotidienne du TAO : les gens doivent se rendre tous les jours à la pharmacie, interférant avec leur quotidien.

Lorsque la médecine spécialisée en traitement de la dépendance reproduit le modèle du TAO pour offrir son soi-disant « approvisionnement sécuritaire », elle s’assure qu’une grande partie de la population qui bénéficierait le plus de l’intervention ne la trouvera pas accessible.

L’Association canadienne des personnes qui utilisent des drogues (ACPUD) définit l’approvisionnement sécuritaire comme suit : « un approvisionnement licite et réglementé de drogues ayant des propriétés susceptibles de modifier l’état psychique ou corporel et qui, traditionnellement, ne peuvent être obtenues que sur le marché illicite ». Concrètement, il s’agirait des mêmes substances que les gens consomment à l’heure actuelle, mais qui seraient réglementées et analysées, offertes dans un environnement accueillant, sans stigmatisation ni jugement.

Les impopulaires drogues « dures » non opiacées comme le crystal meth, la cocaïne en poudre et le crack sont également comprises. Si les substances que les gens recherchent étaient disponibles sous forme injectable et fumable, cela réduirait tout simplement les décès par surdose.

Créée rapidement, dans l’urgence et utilisant des mécanismes existants, la RMG tente d’aller dans la bonne direction, mais ne mérite pas le titre d’« approvisionnement sécuritaire ».