L’annonce récente du projet de loi C-22, la Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, comporte des implications complexes pour Tiohtià:ke, également connu sous le nom de Montréal. Alors que notre ville amorce le troisième mois d’un couvre-feu qui a été dévastateur pour les personnes qui consomment des drogues, ainsi que les personnes qui sont sans logement et couramment criminalisées, l’idée de législation qui pourrait alléger le fardeau juridique criminel auquel se bute ces communautés serait la bienvenue.
“Toutefois, les modifications proposées par le projet de loi C-22 sont très décevantes et ne permettent pas d’apporter les changements à grande échelle nécessaires pour s’attaquer véritablement aux effets disproportionnés de la prohibition des drogues et du système juridique pénal sur les communautés marginalisées.”
On pense notamment aux communautés noires et autochtones et aux autres groupes racisés, aux personnes qui consomment, partagent et/ou vendent des drogues, aux personnes sans logement ou logées de façon précaire, aux personnes vivant dans la pauvreté et aux personnes vivant avec des troubles de santé mentale.
Bien que nous nous réjouissons de l’élimination des peines minimales obligatoires liées à la drogue, étape qui survient après l’annulation de telles peines par divers tribunaux sur les dernières années, ceci nous ramène à une version de la répression mortelle qui était en vigueur avant que le gouvernement conservateur de Stephen Harper n’accède au pouvoir. Il ne fait rien pour régler la guerre contre les drogues qui dure depuis des décennies, qui a commencé bien avant Harper et qui, comme le démontre le projet de loi C-22, se poursuit dans les politiques libérales. Un projet de loi ne peut être présenté comme étant une « anti-guerre contre les drogues » s’il ne met pas fin, voire réduit le mandat de la police d’enquêter et d’empêcher la consommation, la vente ou le partage de drogues.
Ces lacunes sont inacceptables compte tenu du changement nécessaire pour s’attaquer à la crise des surdoses qui sévit à travers le pays, y compris ici à Tiohtià:ke/Montréal, en commençant par la décriminalisation de la possession de drogues. Comme dans d’autres endroits du pays, la pandémie a exacerbé le bilan de la catastrophe des surdoses ici, ce qui a incité le conseil municipal à faire appel au gouvernement fédéral pour qu’il décriminalise la possession de drogues, bien que les groupes communautaires aient fait pression pour une action plus directe par le biais d’une demande d’exemption de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Cela signifie que les demandes des personnes concernées, ainsi que des groupes communautaires et des militants locaux, ont été diluées au niveau municipal, puis à nouveau au niveau fédéral. Malheureusement, les recommandations de la communauté et les pratiques fondées sur des preuves et des données probantes sont régulièrement ignorées, puisque notre gouvernement provincial n’a même pas répondu à une lettre envoyée au début du mois de décembre 2020, qui préconisait la déjudiciarisation de la possession de drogues.
Conformément à cette disjonction politique, le projet de loi C-22 encourage la police à « envisager » de ne pas porter d’accusations criminelles pour la possession de drogues. Nous ne pouvons pas nous fier au jugement des acteurs impliqués dans la judiciarisation des personnes qui consomment des drogues. Ce pouvoir discrétionnaire se voit reflété dans les cas d’agents du SPVM qui ont déchiré l’attestation de déplacement d’une personne se rendant à un site de consommation supervisée après le couvre-feu, ou qui ont accusé une autre personne de possession de drogue dans une situation similaire.
Certes, les avancées proposées par le projet de loi C-22 vont au-delà de la simple possession de drogue, puisque toutes les peines minimales obligatoires liées à la drogue seraient abrogées, y compris le trafic, l’importation, l’exportation et la production.
“Mais l’outil consistant à judiciariser les personnes qui consomment des drogues (ou celles qui sont présumées en posséder, souvent sur la base d’un profilage racial et/ou social) demeure un moyen puissant par lequel la police de Tiohtià:ke/Montréal et des environs cherche à surveiller et à contrôler les communautés.”
Chaque infraction pour laquelle les peines minimales obligatoires sont supprimées resterait toujours passible d’une peine maximale d’emprisonnement à vie. Rien ne permet d’affirmer que la simple suppression des peines minimales obligatoires mettrait fin aux disparités raciales et sociales en matière de détermination de la peine, car ces disparités existent dans tous les types de droit pénal. Lorsque les procureurs sont encouragés à privilégier les peines qui peuvent être purgées dans la communauté, ils mettent souvent les gens en situation d’échec en leur imposant des conditions qui ne sont pas réalistes et en les soumettant à une surveillance continue et au harcèlement policier.
Cette surveillance et ce contrôle sont également soutenus par les efforts « anti-gangs » et anti-armes, pour lesquels de nombreuses peines minimales obligatoires resteraient intactes en vertu des modifications proposées par le projet de loi C-22. À l’échelle locale, ces efforts sont souvent synonymes d’un contrôle policier extrêmement disproportionné pour les personnes noires et les quartiers comptant les plus fortes proportions de personnes racisées dans la ville. On reconnaît que ces quartiers, dont beaucoup sont situés dans le nord-est de Montréal, font l’objet d’une surveillance et d’un harcèlement constants de la part de la police.
Ces dernières années, une nouvelle approche policière a été mise en place sous le couvert de l’escouade anti-armes du SPVM. Cette unité est 42 fois plus susceptible d’arrêter et d’inculper des personnes noires que des personnes blanches. En fait, cette unité porte plus d’accusations pour des infractions liées aux drogues que pour des infractions liées aux armes à feu, ce qui démontre comment l’utilisation du droit pénal pour cibler les communautés racisées, dans ce cas précis les communautés noires, peut facilement passer d’un mandat à un autre tout en maintenant le statu quo. Utiliser le concept des « gangs de rue » pour justifier le contrôle policier et la criminalisation des personnes noires est ici un statu quo qui remonte aux années 80, lorsque l’idée de gangs de rue (racisées) a été popularisée, sans preuve réelle.
Enfin, nous devons nous rappeler le contexte du contrôle policier dans cette ville de manière plus générale. Pendant des décennies, le SPVM a considéré son rôle comme celui d’acteur principal pour « s’occuper du désordre ». Nous vivons également dans la province qui s’est appuyée le plus lourdement sur le contrôle policier tout au long de la pandémie, d’abord par le biais des contraventions, puis par le couvre-feu à l’échelle de la province qui reste en vigueur dans les zones rouges dont Tiohtià:ke/Montréal. De plus, malgré des mois de protestations et de travail mené par La coalition pour le définancement de la police, la ville a récemment décidé de continuer à augmenter son budget policier tout en diminuant simultanément les montants octroyés au logement.
“Un véritable changement nécessite des politiques beaucoup plus audacieuses – des politiques qui reconnaissent l’échec de la prohibition et la violence du système juridique pénal, et qui acceptent enfin que les solutions existent au sein de nos communautés et n’incluent pas la police.”
Partout au Canada, les gens réclament des politiques qui éliminent les contacts non désirés avec la police et qui transfèrent le financement de la police vers le changement social dirigé par la communauté, mais ce projet de loi rate cette occasion. Maintenant, plus que jamais, nous avons besoin d’un changement de politique transformateur et non de politiques performatives qui protègent un système oppressif tout en donnant aux politiciens une tape dans le dos pour avoir agi de façon progressiste. En bout de ligne, ce projet de loi n’est que cela : une performance.
Rédigé par : Kira London-Nadeau, Alexandra Holtom et Assaf Azerrad, au nom du CSSDP Tiohtià:ke/Montréal, du CSSDP Concordia et de La coalition pour le définancement de la police